Démarche artistique

La photographe Claire Artemyz s’intéresse à la trace laissée par le vivant dans une temporalité qui s’étire sur des millions d’années, allant de la préhistoire à nos jours. Ces traces sont de nature différente. Elles peuvent être le fruit d’un processus naturel (fossilisation, décomposition organique, restes osseux) ; ou au contraire résulter d’un acte corporel intentionnel (les stigmates du Christ et modifications volontaires — tatouage, scarification, implant sous-cutané, piercing) ; ou encore constituer le témoignage d’une civilisation éteinte ou d’une époque révolue (statuettes, outils et bijoux préhistoriques, statuaire religieuse). Il ne s’agit pas, pour la photographe de documenter cela, mais de faire surgir sensations, émotions et hypothèses chez le spectateur par l’usage de la macro, d’une faible profondeur de champ, d’un éclairage rigoureusement travaillé en clair-obscur qui sculpte la surface et isole le détail ; le tout renforcé par l’emploi de couleurs contrastées privilégiant le rapport chaud-froid. Il en résulte une image mystérieuse, déroutante, empreinte de poésie qui côtoie l’abstraction et qui pourtant est résolument ancrée dans le réel. Le sujet ainsi photographié devient surface d’émergence du trouble, d’une énergie diffuse, d’une mémoire vivante, ouverte aux multiples interprétations du regardeur inévitablement impliqué. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’artiste tire ses clichés en très grand format. C’est une façon, pour elle, de favoriser encore davantage l’aspect immersif de ses images et d’accompagner le spectateur dans ce plongeon sensoriel.

La photographe élabore parfois des paradoxes visuels en transformant la violence et la douleur en une image d’une grande douceur par la création d’une lumière enveloppante, de textures propices à la caresse. Dans cet esprit, elle développe une recherche sur les plumes et l’œil humain, toujours dans une approche fragmentaire et d’intime proximité. Nous sommes alors face à des clichés où toute la délicatesse du sujet est magnifiée et nous transporte dans un bain de couleurs réjouissant ou réconfortant.

Si le réel est livré par gros plans, il peut également être manipulé par l’usage de la mise en scène reprenant les codes de la nature morte et du memento mori des peintures classiques. Dans un clair-obscur minutieusement travaillé, un crâne humain côtoie ainsi un papillon, une rose, un sablier. Il s’agit de symboliser notre nature éphémère d’une part et de pointer notre posture abusive de toute-puissance vis à vis du de la faune et de la flore d’autre part.

Claire Artemyz photographie ce qui la trouble, la bouleverse ou résiste au regard. Elle parvient à charger le sujet d’une dimension supplémentaire traversé par une forme de grâce (voire de sacré), à dire son amour du vivant et son profond intérêt pour ses us passés et contemporains. Si elle ne craint pas l’abstraction, elle ne s’y abandonne pas complètement ; ses images les plus énigmatiques conservent un ancrage tangible, une empreinte qui résonne en nous et que nous sommes invités à compléter.